they can't heal tonight — kilcott

T'as sans doute bu un café de trop parce que tes doigts n’arrêtent pas de trébucher tandis que tu accroches ton appareil photo à son trépied. Ça fait une demi-heure que tu galères, enchaînant péniblement des trucs qui devraient te prendre dix secondes chacuns et tu te dis que t’as bien d’arriver en avance. A la base, c’était un accident, t’étais en train de tourner en rond chez toi, en train de pester contre le monde et t’as décidé d’aller conduire un peu pour passer le temps mais après avoir fait le tour de la ville trois fois, tu t’es rendu à l’évidence : l’après-midi va être longue et tu ne pourras rien y faire à part encaisser en serrant les dents. T’en veux à Lizzie, parce qu’elle aurait clairement pu prendre une photo avec son téléphone entre deux questions et régler cette histoire de profil pour le journal. T’en veux à l’agent de la jeune autrice que tu dois photographier, aussi, parce qu’elle te semble bien trop enjouée pour que ça soit naturel et parce qu’elle aurait pu faire ses recherches et éviter de te contacter toi. Quelle idée. Tu fulmines de ne pas avoir su refuser, mais sur le coup tu t’es dit que bloquer ça sans explication allait sembler suspicieux, comme si ça pouvait encore t’importer et tu en as conclus qu’il valait mieux faire comme si de rien n’était.

Pourtant, t’en mène pas large depuis que t’as appris qu’elle était de retour. C’est une chose d’en vouloir à Moon quand elle exploite tes traumatismes à l’autre bout du pays, mais savoir que tu risques de la croiser en trainant dans New Canaan, t’es pas certain que ça te convienne. Surtout pas dans une bourgade comme ça où tout se sait, où tout le monde se connait. Bordel, qu’est-ce que tu regrettes l’anonymat de Boston ou même du campus de uPenn.

Quand la porte s’ouvre enfin, tu dois te faire violence pour ne pas avoir l’air con. Tu fais mine d’être occupé, force ton regard sur ce putain d’appareil qui ne veut pas tenir, parce que le cran de sécurité du trépied fait des siennes. Tout pour ne pas relever le nez immédiatement, feignant un détachement que t’espères finir par réellement ressentir. Ce n’est cependant pas visiblement pour tout de suite, parce que sa voix te ramène dix ans en arrière sans le moindre effort. « Désolée, j'suis en ret…ard, » commence-t-elle et tu peux entendre la surprise dans la légère pause. Elle n’était pas au courant, t’as donc un semblant d’avantage. Comme si c’était une compétition. Les secondes qui s’égrainent te donne envie de secouer quelque chose pour que ça passe plus vite, mais à la place tu serres juste les mains. « Salut, Jack » ajoute Moon, simplement et t’es pas foutu de dire ce que ton prénom sur ses lèvres évoque chez toi. Tu te renfrognes, c’est plus fort que toi et t’as besoin de faire un effort colossale pour pas sortir ton téléphone, appeler l’agent et tout annuler, devant la brune, sans pincette aucune. Mais c’est pas pro, et le job est bien rémunéré alors tu décides d’encaisser. Tu dois être un peu masochiste, sans doute, ou alors c’est juste qu’au fond, y’a jamais vraiment rien eu entre vous, alors t’as pas le droit d’en faire tout un plat. « T’étais pas au courant que t’avais rendez-vous avec moi, à ce que je vois… » commentes-tu, essayant de jouer les vieux habitués, pas mal à l’aise pour deux sous. « Pose tes affaires là-bas, pas dans le set, s’il te plait, » tu daignes enfin jeter un regard dans sa direction, avant de faire un signe vers l’endroit où t’as abandonné ton sac, l’éloignant du lit couvert de coussins décoratifs sur lequel tu as prévu de prendre quelques photos d’elle en train de faire semblant d’écrire. Vraiment ? Tu vas lui demander de s’allonger sur un lit pendant que tu dégaines ton objectif ? Abruti. « T’as besoin d’un truc à boire pendant que je t’explique le procédé ou tu veux faire semblant de savoir ce que tu fais ? » t’as besoin de reprendre le contrôle, comme tu peux, alors tu en fais des caisses quant à l’assurance, petit con arrogant qu’elle a connu à l’époque, comme si t’avais pas changé d’un pouce depuis le temps.

CODAGE PAR AMATIS
AVATARS PAR ULTRAVIOLENCE & THE THING THEY CARRIED